Biographie. Le militant du sillon

 

PREMIERE PARTIE : LE MILITANT DU SILLON ET LE DIFFICILE MINISTERE DU CURE DE SAINT SAUD

 

    Chapitre 1 : La formation d’un prêtre au temps de l’affrontement de l’Eglise et de La République


       Georges Rocal est le nom d’écriture que l’abbé Georges Julien se donna au début des années 1920. Jusque là n’existe que Georges Julien. Son biographe peine à le suivre dans la première période de sa vie et notamment dans son enfance tant il est peu disert sur ce qui ne concerne que sa personne. Les volumineux livres-journaux qu’il tint aux moments forts de sa vie n’infirment pas ce constat : s’ils disent une action et l’évaluation que tente d’en faire l’abbé, il ne sont pas le lieu de l’épanchement des souvenirs.

 

      Il nous laisse notamment bien dépourvu pour parler de son enfance.  Point de gerbes à assembler ici ! Tout au plus d’éparses glanes. Elles ne sont point méprisables. Peut-on qualifier ainsi  le document officiel que constitue son inscription à l’état civil. Son père, Pierre Julien, le déclara le 1° août 1881 à la mairie de Périgueux. De cette homme qui devait de nombreuses années être l’une des figures familières du presbytère de Saint-Saud nous savons qu’il résidait 36 rue de Sébastopol à Périgueux au cœur donc du quartier Saint-Martin, tout près de la gare et qu’il était employé a la SNCF, plus précisément à la compagnie du Paris Orléans. Le quartier Saint Martin avait alors des traits bien spécifiques : c’était celui des employés, quand le Toulon et ses échoppes abritaient les ouvriers des Ateliers du P.O. installés là par l’entremise du ministre des transports de Napoléon III, Pierre Magne ils ont fortement contribué au gonflement de la population de Périgueux sous le Second Empire. La description du Périgueux, de ses quartiers et de sa géographie sociale de la fin du XIX° siècle, est l’un des passages les plus attrayants de l’Antoine Bloyé de Paul Nizan qui croque si impitoyablement la petite bourgeoisie du rail. A ceux qui en avaient douté, Georges Rocal n’a cessé de réaffirmer la vigueur de ses racines périgordes. Sa famille était originaire d’un bergeracois qu’elle devait bientôt rejoindre comme en témoigne le souvenir évoqué bien des années plus tard, lorsqu’en 1957 le curé bâtisseur évoquait l’intérêt qu’il avait porté a la construction des églises édifiées sous ses yeux d’enfant à Couze et Lalinde et qui le firent rêver à ce destin de bâtisseur qu’il appliqua toute sa vie à son église. Un passage de Croquants du Périgord lui permet une allusion à sa scolarité à l’école des Frères de Bergerac » A Bergerac, en notre enfance, chaque écolier des Frères élevait en boite dans son casier des vers à soie. Nous étions fiers de notre silencieuse colonie » Croquants du Périgord, Fanlac 1970, p 191. Le nom de sa maman, Marie Ceyral, évoque bien cette identité. La famille Julien eut un second fils, Edmond, le cadet de Georges Anatole puisque c’étaient les deux saint patrons auxquels sa famille l’avait confié. De souvenir d’enfance point beaucoup donc. Peut-être le hasard mènera-t-il vers ce site un lecteur qui disposerait d’autres informations. Nous lui ouvririons volontiers ces colonnes. Ce pourrait être le cas de l’équipe qui travaille autour de JC Peteytas à l’histoire de la paroisse Saint-Martin où l’abbé vit le jour.

 

         Pauvres en textes, nous le sommes davantage en photographie d’adolescence. Don de son filleul, Pierre Rousseau à l’Association où elles sont exposées, pas toujours faciles à identifier, souvent un peu jaunies, elles n’en sont pas moins le vivant tableau d’une famille où, si les interprétations morphologiques ont un sens, on peut dire que nul n’était dépourvu de caractère. D’Edmond nous disposons du diplôme de bachelier, c’est à peu près tout.

 

1-     Les années de séminaire

 

   En termes de scolarité, il fréquenta  l’école des frères de Bergerac. Signe que la famille avait déménagé ? Mais un cheminot pouvait-il trouver sa place à Bergerac ? L’enfant était-il interne ? Pour le reste, si nous essayons, à rebours, de reconstituer son parcours de formation, sachant qu’il fut ordonné en 1904 soit à l’âge de 23 ans seulement, nous pouvons présager d’une précocité qui lui permit de franchir sans encombre les étapes de sa scolarité : s’il entra à onze ans au petit séminaire de Bergerac (soit en 1892), il se retrouva au Grand séminaire en 1899 pour accomplir une scolarité de cinq ans, deux de philosophie et trois de théologie selon le processus normal, l’ordination ayant été faite en septembre 1904. Pourquoi le baccalauréat n’apparaît il jamais dans les diplômes de cet élève puis de cet étudiant qu’on indique brillant ? Ce n’était pas forcément une tradition à l’époque d’être présenté à ces examens et la nécessité de faire valider par l’Etat, en cette période de tension, un niveau de formation ne s’imposait peut-être pas à moins que, comme ce fut le cas pour Jean Sigala en 1902 on décidât d’orienter le futur prêtre vers des études universitaires. L’historien n’aime pas trop vivre de conjectures et on comprendra ici notre embarras !

 

      C’est justement le Mémorial que Georges Rocal coécrivit en 1953 avec l’abbé Bouillon sur Jean Sigala qui nous livre des souvenirs du séminaire et de ses professeurs. La grande bâtisse qui abritait les futurs prêtres est encore aujourd’hui en place, rue Victor Hugo. Confisquée par l’Etat à la Séparation, elle devint après 1907 établissement d’enseignement technique (« La Professionnelle » familière aux mémoires des vieux Périgourdins) avant de devenir le lycée Albert Claveille. Un incendie en 1886 avait conduit à la reconstruction qui permettait de renforcer le caractère imposant de l’édifice dont l’ouvrage de P Pomarède comporte plusieurs photos. Il nous montre encore un groupe d’élèves du petit séminaire de Bergerac en 1907 et un groupe de grand séminaristes à la même époque. Il faut dire que la Séparation qui privait désormais de traitement les prêtres et rendait leur avenir bien incertain se traduisit par un recul très brutal des vocations. Dans la décennie 1895-1905 qui correspond au temps des études de G. Julien, on ordonnait en moyenne 17 à 18 prêtres chaque année avec un nombre atteignant 25 à deux reprises. Après 1905, les chiffres ne sont plus que de moitié : 70 ordinations jusqu’à la guerre pour 9 années, le minimum tombant à 2 pour 1912. Dans un diocèse qui comptait 537 paroisses  dont une cinquantaine nécessitait la présence d’un vicaire, cela faisait évidemment peu. C’est dire qu’il faut distinguer le climat de l’époque de formation de Rocal forcément plus optimiste de la période qui suivit : Rocal ordonné en septembre 1904 fut nommé pour l’année vicaire à Sarlat. C’est de là que nous le verrons écrire à ses condisciples encore séminaristes : Vous allez combattre, mais vous êtes sur la montagne encore, songez à moi qui suis dans la plaine en lutte avec de nombreuses difficultés, montrant donc le Séminaire comme le temps privilégié et au fond protégé dans l’élan spirituel.

 

      Arrêtons nous un instant sur les souvenirs qu’il nous livre, via la biographie de son ami, qui entra, lui, au grand séminaire en 1901.  A coup sûr les souvenirs les plus vifs et empreints d’émotion concernent celui qui devint au moins en 1904 le Supérieur du grand séminaire, Léandre Parpaillon, et qui avait, a partir de 1901 débuté son enseignement d’Ecriture sainte et de morale. Il avait enseigné la théologie à Georges Julien : les appréciations disent à la fois l’autorité et la distance du maître, l’affection et les regrets de l’élève « D’apparence austère et impitoyable dans les sanctions nécessaires, M Parpaillon cache un cœur humain sous une cuirasse d’airain, dont quelques uns découvrirent les richesses seulement après l’avoir quitté «. Après avoir évoqué d’un sourire l’abbé Peyrille dont « l’ excessive bonté en 6° était débordée par l’effervescence de ses élèves » et qu’il crédite d’être devenu un administrateur plus sûr de lui que ne l’était le professeur, mettant, à l’heure des inventaires, ses talents au service de l’institution : cet « intendant fidèle « sauva tout ce qui pouvait être sauvé des biens du petit séminaire confisqués par la loi de Séparation. » Il évoque Cyprien Boyer « jamais en défaut pour la militaire conduite de l’établissement, ni pour la confusion d’un hypocrite » et qui fut ce distingué compositeur de musique sacrée. Le ton se fait plus acerbe à l’endroit du professeur de mathématiques, l’abbé Goulard « tour à tour irascible et onctueux qui s’en prenait à ses élèves de sa déplorable méthode pédagogique». On ne trouvera rien d’extraordinaire à ce que l’abbé au soir de sa vie distingue entre les fortes directives des hommes d’autorité et les louvoiements des faibles et hypocrites. C’était un critère qui lui était familier. Dans l’ensemble pourtant point trop de ces amertumes que suscitent parfois les souvenirs de pensionnat. Photographie et textes coïncident ici pour nous montrer un jeune homme de caractère, volontiers facétieux et toujours enthousiaste. Peut-être ces traits convenaient-ils tout particulièrement au temps de grands orages.

 

2-Les combats du début du siècle.

 

 

 

      La même biographie par le truchement des souvenirs d’un prêtre recueillis pour le Mémorial est l’occasion de souligner le caractère de ces temps particuliers  Autour de 1900, sous couleur de laïcisme, la lutte avait repris. Dans les cœurs des séminaristes, tout particulièrement, elle provoqua un magnifique réveil d’énergies ; en notre ami, déjà si vibrant au récit d’épopées antiques, elle développa ses qualités de lutteur ». Car la pugnacité devenait de part et d’autre une disposition à l’ordre du jour.

 

     On renverra aux histoires de l’Eglise de France ceux qui voudront prendre la mesure des événements nationaux comme nous recommanderons une fois de plus la lecture de l’ouvrage de Pierre Poimmarède,  La Séparation de l’Eglise du Périgord, thèse soutenue à l’université de Toulouse puis imprimée par Pierre Fanlac en 1979. 

 

     Pour comprendre ce qu’on a appelé par ailleurs la Belle époque, qui retentit dans le domaine religieux de l’affrontement entre la République radicale et l’Eglise que dirigeait de Rome Pie X, il faut rapidement considérer deux réalités.

 

      L’une tient à l’exacerbation d’un très vieux conflit. Peut-être pourrait on estimer que, à l’épisode du Printemps des Peuples de 1848 près, il durait depuis plus d’un siècle et avait pris racine dans  l’épisode tournant de la Révolution française, la Constitution civile du clergé qui, suivie par la fameuse obligation du serment des prêtres, avait degré après degré envenimé les relations entre les nouveaux gouvernants et l’Eglise, faisant de celle-ci l’élément le plus populaire et donc le plus actif de la contre-révolution. Les étapes des conflits politiques qui donnèrent sa marche heurté au XIX° siècle scandèrent aussi cet affrontement et la victoire républicaine fut arrachée, entre 1875 et 1879, par des leaders qui à l’exemple de Gambetta proclamant « Le cléricalisme voilà l’ennemi »,  opposèrent à l’Eglise la laïcité militante qu’incarne Jules Ferry et qui trouva dans la réforme de l’école désormais « laïque, gratuite et obligatoire » son terrain le plus signifiant. Certes les choses s’étaient un peu apaisées dans les années 1890 au point que sous l’égide du pape Léon XIII, l’exhortation au Ralliement  à la République des catholiques de France en 1892 avait préparé les voies de la réconciliation entre Eglise de France et l’Etat. Mais la situation était fragile et ne résista pas aux changements de protagonistes à Rome et à Paris. Les crises de la fin du siècle, les déchirements de l’affaire Dreyfus ravivèrent l’hostilité. La première décennie du XX° siècle fut ainsi marquée par le vote d’une dizaine de loi de la majorité « blocarde » (c’est ainsi que leurs adversaires désignaient le Bloc des gauches coalisé à l’Assemblée Nationale) dans une offensive qui atteignit son sommet sous le ministère Combes (1901-1904). C’est pourtant sous son successeur Rouvier seulement que fut votée la loi de septembre 1905, loi de Séparation de l’Eglise et de l’Etat, promulguée le 11 décembre. Elle eut deux conséquences immédiates : le passage des lieux de chute sous le contrôle des autorités civiles qui provoqua les affrontements des inventaires et où l’on passa au bord de la guerre civile d’une part ; et la fin du traitement que  curés et évêques recevaient de l’Etat qui modifia radicalement leur situation : ils devenaient désormais dépendants de la générosité des fidèles. Quelles que fussent les conséquences positives à long terme d’une loi fondatrice de la laïcité, le présent était à l’amertume et à la lutte. Dans le même temps, à Rome, Pie succédant à Léon XIII, le temps de l’apaisement avait succédé au renforcement des intégristes et à la condamnation de tout un renouvellement intellectuel et social du précédent pontificat.

 

    Car la fin du XIX° siècle avait vu l’épanouissement de belles initiatives engagées sous le pontificat de Léon XIII à bien des points de vue. On vit à la fois s’ouvrir un nouveau champ de débats intellectuels notamment dans l’interprétation de l’Ecriture sainte. Sur le plan pastoral, le développement des mouvements d’action catholique masculins et féminin, la volonté d’encadrer de manière nouvelle les paroisses donna un dynamisme très vite contagieux qu’illustre dans sa paroisse parisienne de Notre Dame des Champs le futur évêque de Périgueux, De lamaire. Mais c’est probablement par sa volonté de voir lever les barrières qui écartaient les catholiques de l’action publique au nom de la condamnation du régime républicain que Léon XIII ouvrit les nouveaux horizons des mouvements de démocratie chrétienne. Enfin, son Encyclique fameuse, Rerum Novarum, appelait à l’action sociale. On a souligné depuis les limites d’un texte qui rejetait sans appel le socialisme. N’empêche : des vocations nouvelles apparurent.  Le monde chrétien avait, depuis la révolution industrielle, réagi moins lentement qu’on ne le dit parfois à la question sociale et aux difficultés de la classe ouvrière dont la misère et l’isolement étaient aussi de puissants facteurs de déchristianisation. Mais l’aspect le plus voyant de cette action avait surtout concerné des patrons chrétiens se distinguant par leur générosité tout en gardant leur distance avec le monde ouvrier : on parlait alors de « paternalisme » discréditant d’ailleurs une action qui valait probablement mieux que la réputation qu’on lui a faite. Conjuguant ouverture politique et sociale dans la ligne des initiatives pontificales, se formèrent  en France des courants de démocratie chrétienne qu’illustra en particulier l’abbé Lemire.

 

      Toute sa vie Rocal se rangea dans le camp de ces abbés démocrates et nous y reviendrons. Mais c’est avec un enthousiasme particulier qu’il accueillit   la montée du Sillon de Marc Sangnier à partir des dernières années du XIX° et son installation en Périgord à partir de 1903.Le Sillon, mouvement qui doit son nom au journal du mouvement dont le jeune polytechnicien prit la tête entreprenait une œuvre de réconciliation sociale inspirée du modèle franciscain et dont le maître mot était le développement d’une amitié capable de briser les frontières sociales. D’où l’emploi du terme de « camarades » entre membres, terme qui voulait affirmer des relations de proximité et partage et n’avait probablement pas encore la forte consonance politique que lui donna  la naissance du parti communiste. Il ne faut assurément pas en surévaluer le sens pour faire des membres du Sillon, à commencer par Georges Julien des « cryptocommunistes » adversaires farouches qu’ils pouvaient être et restèrent de toute forme de socialisme marxiste athée et poussant à une lutte des classe totalement opposée à leur idéal ! Leur but était d’abord d’armer les participants d’une culture libératrice, à la fois historique et politique, religieuse et sociale par l’extension de l’institution des cercles d’études qu’avaient lancés notamment les théoriciens du catholicisme social comme Albert de Mun. Comme on s’en doute, le Sillon entrait ainsi en concurrence avec d’autres mouvements politiques et sociaux et, à cette époque, on joignait facilement le geste à la parole dans des conférences contradictoires pour le moins agitée. C’est pourquoi le Sillon se dota aussi de groupes de protection, les Jeunes Gardes.

 

Jean de Fabrègue évoque le Sillon comme « une grande coulée prophétique redevenue incandescente ». L’idéal de Sangnier était celui d’un mouvement nourri de la doctrine de l’Evangile. Ecoutons Georges Julien présenter, en 1904, le mouvement aux séminaristes rassemblés à Cap Blanc. « Nous avons été transportés d’enthousiasme en constatant cette œuvre admirable et comme tout noble cœur doit faire, nous nous lançons dans le mouvement (…). Pour moi l’âme du Sillon c’est l’esprit vivificateur du christianisme lui-même (amour du Christ, amour du prochain) : le Christ, cette divine figure nimbée d’une auréole de bonté et de mansuétude. Je représente Jésus prêchant les paroles de vérité qui retentirent sur le bord des lacs, sur le sommet des montagnes se sont, d’écho en écho répercutés dans le monde et l’art, ébranlé jusque dans ses assises. Des phalanges d’hommes se sont levées et se sont mises à la suite de Jésus.


 Le Sillon en Périgord

 

     Plus encore que dans le reste de la France, l’histoire du Sillon en Périgord fut une flambée d’ardeur vite éteinte. Tout commença de manière discrète avec la première visite de Sangnier en Périgord. Il y trouva un évêque dont il avait été le paroissien jusqu'à 1901 à Notre Dame des Champs. Monseigneur Delamaire était un combattant : ses prises de position lui avaient valu, en 1904, la peine qu’avant 1905 l’Etat infligeait aux opposants trop voyant : la suppression de leur traitement.  A l’égard du Sillon, il afficha une attitude si favorable que l’on évoqua bientôt « le camarade Delamaire ». Quand on connait la dimension du personnage, cela surprend un peu. Marc Sangnier revint à Périgueux en avril 1904, fait que relate de manière détaillée et la Semaine Religieuse et bien sur le P. Pommarède. Evénement considérable : les 9 et 10 avril 1904, il n’y avait pas moins de trois évêques sur l’estrade autour de Marc Sangnier. Pour que l’on soit bien dans la couleur de l’époque, se produisirent les échauffourées avec les inévitables perturbateurs représentants les mouvements anticléricaux. Les congressistes logeaient au grand séminaire. On était à la veille des vacances de Pâques. En 1905 alors vicaire à Sarlat, Georges Julien à la demande des cadets du Sillon au séminaire qu’il vient de quitter un récit de la « Grande séance » au cours de laquelle se fit  la fondation rue Victor Hugo d’un Cercle Jeanne d’Arc affilié au Sillon. Laissons lui la parole. Il avoue ne pas se souvenir exactement des termes « Pour la grande séance, ma mémoire me trahit. Je n’en ai retenu qu’une idée générale, mais de détails point… Je vais cependant essayer de te reconstituer le cadre. Monseigneur préside. A signaler la présence de toute la communauté et de plusieurs directeurs. Discours ému du président Hironde, il constate que Mgr se fait un nom et il souhaite voir arriver le jour où dans l’univers, on pourra dire « Mgr Delamaire de Périgueux « La parole est donnée au camarade Julien qui tout d’abord fait battre un ban « pour remercier Mgr de l’honneur qu’il nous fait des encouragements qu’il nous donne et aussi pour le féliciter de sa noble attitude lors des récents évnéments du Congrès de Périgueux ». Ban très nourri.


   Au début de mon discours, je fais à grands traits la genèse de l’idée du Sillon au grand séminaire de Périgueux : nous le connaissons vaguement depuis la visite de Sangnier (juin 1903) mais nos notions se sont précisées pendant les vacances de Pâques. Nous connaissons la suite du discours déjà évoquée. Conclusion : : pouvons-nous nous affilier au Sillon, en recevoir la revue etc… Monseigneur se dérobe, s’en remet à M le Supérieur. Mgr quitte la salle à 9h1/2. La séance avait duré 2h1/2 après le départ de Mgr choix des matières après nomination d’une commission. On lira en annexe une autre version de l’implantation du Sillon extrait du Mémorial à Jean Sigala.

 

   L’adhésion fut d’autant plus facilement acceptée que le Supérieur, Léandre  Parpaillon, était lui aussi gagné à ces idées. De là une belle aventure : pendant deux années, 1904 et 1905 on vit se multiplier les sections dans le cadre paroissial où fleurissaient cercles et congrès. Peut-être faut-il être un peu circonspect sur le chiffre de 5000 adhérents parfois avancés. L’essentiel n’est pas là.

 

Un mouvement social très affirmé

 

 

       Tout semble montrer, comme l’avance P Pomarède, que Grand séminaire avait été le fer de lance d’un mouvement qui donnait, même si nombreux étaient les adultes voire les notables dans ses rangs, aux jeunes la priorité comme le rappelait Rocal dans sa lettre de 1905 » Les jeunes du Sillon sont de ceux là. Ils vont vivre le Christ et ,pour cela, ils vont commencer la réforme de leur cœur, s’imposer les plus durs sacrifices pour réaliser en eux cet idéal ». Quant au programme qu’il fixe à ses cadets du Cercle Jeanne d’Arc il montre la hardiesse des préoccupations sociales Cantonnez-vous, pour le moment,  dans les questions générales : la vie démocratique, sa définition, ses avantages. Que peut rapporter l’enseignement démocratique? Abordez ensuite le Sillon qui se base sur la démocratie. Examinez le dans sa constitution, ses tendances. Quel est le secret de sa vitalité ? Le Sillon ne tombera-t-il pas nécessairement dans les bras du socialisme ?.Quels sont les rouages de son organisation… Les avantages du congrès, comment on les organise, ce qu’on y fait. Quels en sont les résultats pratiques ? Font-ils autorité ?… Quelles sont les institutions qu’aime voir fleurir le Sillon et à la naissance desquels il se dévoue : caisses rurales, coopératives, syndicats (agricole etc… rouge ? jaune ?, de patrons seuls ?, d’ouvriers seuls ?, de patrons et d’ouvriers ? Il rappelle presqu’un demi-siècle plus tard ce qu’avait signifié pour Jean Sigala et pour lui le nouveau mouvement «  Un pan de clôture qui séparait en classes fermées les clercs et le peuple est abattu .Pourquoi les jeunes prêtres n’auraient-ils pas l’ardeur de conquête spirituelle qui anime les ouvriers et apprentis dans les usines, jeunes ruraux sur la glèbe ? …Quels éblouissements à notre lecture des revues ou l’équipe de Marc Sangnier, vibrante de jeunesse et de foi chrétienne, compréhensive des aspirations et des besoins prolétariens expose ses plans d’aménagement social. Le même texte, on le verra, montre que se mêlent à ces élans d’amour les échos de luttes féroces que provoque la Séparation. Il montre aussi combien on est dans la ligne franciscaine tant se mêle l’élan de cœur et de charité et l’ascèse religieuse dans la soumission à la règle. Et pourtant!

 

Echec et portée du Sillon

 

 

     Le vent tourna à partir de la fin 1905. Dès lors que Marc Sangnier tenait à garder l’autonomie de son mouvement, il affirmait aussi sa volonté de s’affranchir de la hiérarchie. Celle-ci, très ébranlée par le vote de la loi de Séparation demandait l’unité dans les rangs et la soumission à l’objectif de faire élire une assemblée favorable qui referait ce que les Radicaux avaient défait. Les objectifs de Sangnier étaient beaucoup plus larges, au point qu’on l’ accusait de faire de sa foi démocratique un absolu. Les élans se refroidirent. Deux hommes qui avaient soutenu très largement le Sillon s’opposèrent à lui désormais. Ce fut le cas de Mgr Delamaire. Le prélat avait peut-être déjà exprimé ses sentiments nouveaux avant de quitter le diocèse en septembre 1906. En tout état de cause, il affirma ses extrêmes réserves dans une lettre adressée de Cambrai où il avait été nommé. De son côté M. Parpaillon avait retrouvée sa Vendée natale. De là il fit connaître à M Abdon, son successeur ses réserves dans une lettre du 30 décembre 1905 : Le séminaire est un temps d’éducation, de formation, et non d’action, d’apostolat, de profession. J’en conclus qu’il n’est pas à propos que nos abbés participent activement au Sillon. Le but su Sillon est d’imprimer un esprit, une direction. Les séminaristes doivent recevoir leur esprit et leur direction de l’autorité du séminaire, les prêtres doivent puiser le leur dans la hiérarchie de l’Eglise. N’est-il pas à craindre que la du Sillon ne soit pas celle de la hiérarchie ecclésiastique et que les jeunes abbés se soustraient en partie à la direction de leurs chefs. Propos de rupture définitive ? Pas tout à fait, M Parpailon laissait la porte entr’ouverte… dans la soumission « Le Sillon a du bon et mérite d’être encouragé. Tant qu’il restera soumis aux prêtres de l’Eglise il restera dans l’ordre ». Ajoutons que les prises de position de l’un des adjoints de Sangnier, le très célèbre abbé Desgranges que le succès des conférences contradictoires où il terrassait ses adversaires anticléricaux avait fait connaître de Limoges ses réserves sur ce qu’il considérait comme la dérive du Sillon, le mouvement ne se manifesta plus guère avant sa condamnation et donc sa disparition en 1910.

 

       Comment le jeune curé de Montaut et Puyguilhem accueillit-il cette brisure ? Probablement moyennement absorbé par des paroisses qui ne comptaient guère que 200 habitants, il s’était déjà engagé dans les œuvres de plume. Dans l’entretien donné à Périgord Magazine en janvier 1966, il rappelle qu’alors il « composait des canevas, des synopsis pour films ou les projections de la Bonne Presse ». On ajoute que l’on sollicitait alors aussi son talent de conférencier.…

 

      Il reste sûr qu’on peut lui attribuer à propos du Sillon les convictions que conserva toujours son camarade Sigala dont il  évoque dans le Mémorial  les ardeurs sillonnistes et G Julien évoque avec émotion ce permanent attachement « Il gardera sa vie durant, sa fraîcheur d’âme et l’ardeur de ses vingt ans. C’est pourquoi en souvenir des beaux temps du Sillon, il ornera jusqu'à sa mort sa chambre de la gerbe d’épis murs, déposés sur l’autel de la Madeleine, au matin de sa première messe ».


    Le parallèle entre les deux prêtres reviendra au cours de cette biographie. Qu’on permette à l’auteur d’y ajouter un souvenir personnel.  Directeur de Saint-Joseph, lorsque j’eus à faire face à la question de la rénovation des bâtiments, je proposai de donner à celui qui accueillerait le lycée professionnel le nom de « Bâtiment Sigala » puisque c’est en ces murs où se trouvaient autrefois les chambres des prêtres qu’il avait passé la fin de sa vie et qu’il était décédé en 1953. Il me sembla alors que nul mieux que cet ardent membre du Sillon ancien professeur de philosophie de l’établissement, ne pouvait épauler des jeunes en difficultés qu’une très belle équipe de professeur aidait à retrouver foi en eux même et épanouissement par une réussite à laquelle ils n’étaient plus accoutumés. De la même manière nous serons bien souvent amenés à évoquer cette source permanente d’ardeur pastorale que fut l’influence de Marc Sangnier sur Georges Rocal.

 

          Sur le jeune curé qui, en 1904, quitte le séminaire est porté par ses supérieurs une appréciation nuancée «  Energique, zélé, peut faire beaucoup de bien, caractère difficile, prêche avec originalité, mais son prêche est parfois douteux. Il pourrait se laisser aller à des écarts de conduite ». En somme pour ses supérieurs, un jeune prêtre à qui ne manquent ni le talent ni l’ardeur. Nous en avons eu le témoignage. Que faut-il entendre par des « prêches douteux » : écarts du sillonniste ? Engagement politique trop fougueux dans la ligne de l’abbé Lemire ou accents Modernistes ? La condamnation de Loisy et bientôt de Monseigneur Battifol à l’Université de Toulouse dont Sigala fut l’élève, l’intégrisme conduisait souvent à des jugements sévères sur une ouverture d’esprit qui était un peu la marque de fabrique de Rocal, quant au reste « les écarts de conduite » possibles montrent bien que le jeune homme n’est pas totalement rassurant pour sa hiérarchie.  Dans sa complexité ce portrait coïncide finalement assez bien avec un tempérament qui suscite assez peu d’indifférence et beaucoup de passions en sens opposés. Le ministère à Saint-Saud allait très vite en faire la preuve. 

 

      LES SOURCES DE NOTRE ETUDE

 

-Sur l’histoire religieuse de la France de la fin du XIX° et du début du XX° nous recommandons parce que très accessible G C Holvy, Histoire religieuse de la France. Seul défaut le peu de place fait au Sillon dans cette étude.

 

-Sur le Périgord, on consultera bien sûr P Pomarèse,  La Séparation de l’Eglise et de l’Etat en Périgord, Fanlac 1979  Réédition 2009. Nous lui devons les données statistiques sur les ordinations et la chronologie du Sillon en Dordogne.

 

-Pour les souvenirs personnels : Georges Rocal, Léon Bouillon, Jean Sigala (1884-1954), Mémorial, Coquemard, Angoulême, 1954 (voir texte 2 en annexe).

 

-Nous avons consulté les archives diocésaine, dossier Sillon, GS7 et notamment la très intéressante lettre de Rocal de Sarlat en 1905 (voir texte1 en annexe).

 

-Aux Archives Départementales, les volumes reliés de la Semaine religieuse. Les articles sur le Sillon abondent en 1904 (p 256 (manifesta du 9-10 avril) 393, 573, 577, 634, 638, 747) et 1905 (84, 149, 306, 595) p 722 se trouve l’article de l’abbé Desgranges exposant la doctrine du Sillon.

 



06/06/2011

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