L’itinéraire en Seconde Guerre mondiale d’un aumônier du maquis

L’abbé Georges Julien dit ROCAL(1881-1967)

L’itinéraire en Seconde Guerre mondiale

d’un aumônier du maquis

 

 

     On sait bien aujourd’hui  qu’au-delà des oppositions trop marquées,l’histoire  des  parcours qui conduisent au refus de l’Occupant et de la collaboration est souvent celle de l’itinéraire qui conduit de Vichy à la Résistance. Après tout, sur le modèle de Fresnay,  il fait de la Résistance la recherche d’une Revanche qui pose davantage la question en termes militaires qu’idéologiques : avant le nazi il y a la présence insupportable du « Boche ». Du même coup ; à l’intérieur de ce parcours  d’ Occupation, apparaissent des itinéraires complexes  à classer.

      C’est sous cet angle que sera  analysé ici   l’itinéraire d’un homme qui fut près de 50 ans durant curé de Saint-Saud(1911-1957) : quelle que soit la notoriété acquise sous le pseudonyme de  Rocal, c’est d’abord autour   de l’abbé Georges Julien et  de la fonction sacerdotale que se construit un parcours de Seconde Guerre mondiale  qui devait en faire le capitaine- aumônier de la brigade RAC en Dordogne Nord. Parcours complexe assurément  que nous permettent de construire deux types de sources  qui, de prime abord, présentent à la fois une discontinuité  chronologique  et de regard sur les enjeux  de la guerre:

-d’une part d’un, fonds de la série des papiers privés des Archives départementales[1]  constitué   d’un livre -journal pour la période qui va de  la déclaration de guerre à  janvier 1942, et d’ une correspondance dans laquelle la période de l’après guerre tient une bonne place. A son tour, le livre journal ajoute  au relevé des faits  la vie à Saint Saud retenus  et commentés selon  une fréquence qui dépend  de l’intensité de l’heure,  le  double de lettres dactylographiées  envoyées à Vichy, toutes faisant l’éloge apparent de la Révolution nationale et des sermons où l’intensité des attaques contre l’Occupant –le « Boche »- est au mois surprenante

-L’autre dossier , aux archives de l’ONAC,  constitué après guerre, montre le niveau de reconnaissance d’une carrière résistante qui se mesure à l’importance des décorations, à l’épaisseur du dossier et au cheminement qu’il dévoile posant la question de l’ancienneté dans l’entrée dans la Résistance et des activités menées au sein de celles-ci dont la plus remarquée est celle d’aumônier de la brigade RAC puis du50° RI.

      Nous avons voulu, à partir de là, présenter successivement la situation d’un curé de campagne  au temps de la Drôle de guerre puis de la Révolution nationale  où il  paraît  d’abord trouver   sa place (1939-1941) ; celle d’un   résistant  et des questions que pose   sa reconstitution de carrière , avant de voir où se trouve la cohérence dans ce que nous appellerons le « détournement patriotique de Vichy »

 

I-UN prêtre arraché à son isolement par la Révolution nationale

     La consultation du livre journal que tint l’abbé Julien, de la déclaration de guerre à 1941,  montre l’évolution d’un homme que les événements  semblent d’abord  enfoncer dans un isolement de plus en plus lourd, le traumatisme de la défaite  prenant chez lui des proportions particulières semble encore aggraver puis qui,. à partir de l’hiver de 1940, semble participer de l’espoir de la rénovation qu’offrent les apparences  de la  Révolution nationale, notamment dans sa dimension religieuse.

 

 

 

[2]A°Le désoeuvrement d’un curé dans un désert religieux.

      Il peut paraître assez paradoxal d’aborder ainsi la situation d’un homme qui, en 1938, est assez reconnu pour se voir décerner la légion d’honneur pour son oeuvre littéraire. Pour un prêtre, la distinction n’est pas si communément attribuée. La guerre le trouve  achevant son dixième livre,  une étude  en deux  gros volume de l’Empire en Dordogne : Brumaire à Waterloo[3].Mais il faut être clair : Georges Rocal et sa double œuvre ethnographique (ce qu’on appelle encore le folk-lore en deux mots)  et historique étaient   une chose. La situation de Georges Julien, curé de Saint-Saud en est une autre. Et la préface de l’ouvrage  fut l’occasion  souligner combien, de ce point de vue, l’écrivain devait beaucoup à l’amertume et au désoeuvrement du curé. «  Encore un ouvrage -mon dixième. C’est trop et j’abuse de ta bienveillance, Ami Lecteur. J’ai cependant l’excuse de n’avoir pas eu le choix d’une vie plus active que de courir après le Document et de le décrire à ta curiosité. Si tu avais fréquenté la solitude paysanne, tu comprendrais la forme de mon labeur et tu absoudrais l’importune présentation de mes travaux »[4]

     Désoeuvrement ? le paradoxe ne paraît pas banal si l’on prend en compte le nombre d’habitants ( on n’ose point trop employer le terme de « paroissiens »)  qui dépassait 2000 en 1936 (2174)   de  Saint-Saud . Il est vrai que s’accélérait alors la chute  qui fit tomber autour de 1600 en 1946 le nombre des habitants  qui  atteignait 2700 au moment où, en 1911, le jeune curé Julien, ordonné prêtre en 1904[5] , après un bref vicariat en Sarladais, s’installait à 30 ans a la tête de cette paroisse.

     La physionomie de ce jeune prêtre que nous avons évoquée par ailleurs  [6] est dominée par son expérience du Sillon dont il a été à Périgueux l’un des membres les plus dynamiques au point d’ y gagner , comme le rappelle P Pommarède[7] le titre de « camarade Julien »Il arriva à Saint-Saud alors que le mouvement avait été condamné par Rome. Mais il en conserva l’ardeur et un programme d’action  pastorale dont il crut bien qu’il ramènerait à la foi ce que l’on regardait de Périgueux comme  « le pays des loups » dans ce Nontronais qui passait pour l’arrondissement le plus déchristianisé  et où l’usage de la langue d’oïl restait limité. Le canton se Saint-Pardoux brillait tout autant par son analphabétisme  placé qu’il était en avant dernier rang dans les chiffres cantonaux d’alphabétisation relevés au moment des conseils de révision[8]. Les bulletins paroissiaux  des années 1912 à 1914 permettent de retrouver  la description de ces  méthodes  et témoignent d’une volonté d’encadrement  nouvelle et imaginatives[9] On  sait bien, à travers les remarques amères des années quarante, que tout cela n’a guère servi. D’ailleurs on ne trouve plus trace de ses bulletins après 1918  . Qu’on n’ait même pas envisagé d’envoyer ici un vicaire pour un tel territoire, prouve assez que la cause paraissait entendue. La guerre de 1914 advenue tendit un peu plus les relations avec une partie de la population : une première fois autour du tocsin le jour de la déclaration, comme il devait y faire allusion en 1939[10], tandis qu’une seconde affaire fut l’occasion pour les notables locaux de tenter d’éloigner de Saint-Saud[11] un curé qu’ils taxaient de radical-socialiste. Rocal de Noël 1914 à l’été 1916  fut mobilisé et apprit à travers sa fonction d’infirmier des rudiments de médecine. Ainsi pourrait-il, dans bien des cas, limiter les effets de l’absence d’un médecin  permanent auprès de ses paroissiens !

    Les publications et probablement avec elles les méthodes pastorales pionnières cessèrent dans l’entre deux guerre. Elle en fit l’écrivain que l’on connaît[12]t. Et là nouveau paradoxe (on ne parlera tout de même pas se schizophrénie) : voici que par ses prises de positions publiques, son attachement à Eugène le Roy qui le conduisit à prononcer  le sermon sur l’auteur  Montignac en 1927  qui fut publié sous le titre significatif de »Les fils émancipés de Jacquou le Croquant »[13] .IL s’agissait d’une vaste glose sur le fameux épître de Saint Jacques qui clouait les riches, qualifiés charitablement de « voraces », au pilori. Du coup, après le « camarade Julien «  du séminaire, il devint le « curé rouge ». Jean Secret quelques jours avant de mourir, en 1981, faisait part des difficultés qu’ils rencontrèrent pour écrire ensemble Châteaux et manoirs » à l’heure où la porte de certaines de  ces bâtisses de ce que Bernanos, comme Rocal disciple de Léon Bloy, appelait alors « les bien pensants » semblaient close au curé de Saint-Saud. Il ne manquait pourtant aucune occasion de manifester son amertume devant les succès croissants du parti communiste[14] dans sa paroisse où avait été élu maire en 1925 et réélu ensuite   un apparenté au PC . Pour être complet, il convient d’ajouter que les proches de l’ancien maire conservateur battu, Martinot-Lagarde , accusaient le curé d’avoir pris sa part au résultat[15] .

      L’isolement tenait peut-être à d’autres motifs. Pourquoi l’évêché ne lui proposa-t-il pas une autre paroisse ? l’Abbé Julien la  refusa-t-il pour des raisons personnelles. ? Ces deux questions peuvent peut-être trouver leur réponse dans la relation, de notoriété publique, entretenue avec la pétillante Félicie Brouillet ? Il est   vrai aussi que l’abbé abritait au presbytère depuis 1911 des parents désormais très vieux qui limitaient sa mobilité

      Il reste que , à la veille de la guerre, le paysage pastoral est sombre : église en ruine  plus ou moins désertée, plusieurs fêtes non célébrées à Saint Saud  dont le 11 novembre[16]  et, ce qui est plus grave, la messe de minuit supprimée, suite  à plusieurs charivaris . Beaucoup d’enterrements sont civils et le drapeau y remplace la Croix[17] à la tête des cortéges vers le cimetière. Insupportable opposition.

     Georges Julien était par ailleurs, dira-t-on faute de mieux, peu doué pour la vie quotidienne , on le disait doté d’un  fort mauvais caractère et ses propos était très ostensiblement  étrangers à la fois à l’hypocrisie et à la litote!

 

B La Drôle de guerre : un isolement aggravé.

    Le jour de la déclaration de guerre fut marqué par un accrochage très grave au presbytère[18]. A cette époque le curé avait la responsabilité de sonner le tocsin en cas d’événements comme les incendies. Cela s’étendait-il à un événement aussi grave que l’annonce de la déclaration de guerre ? D’évidence la leçon de 1914 n’avait pas été entendue par  l’abbé Julien reprit l’initiative de sonner, marteau en main, pour informer le 1° septembre 1939. Le livre-journal nous décrit une scène très violente : conduits par deux membres du PC  local, un groupe se dirigea vers le presbytère  avec des intentions assez belliqueuses. Or le maire se joignit à ce groupe, probablement pour sauver la face et aussi pour restaurer son autorité ainsi bafouée. L’affaire ne dégénéra pas, grâce semble-t-il à l’intervention de quelques personnes que l’on retrouva ensuite dans la Résistance. Mais elle laissa une trace immédiate : celle de la rupture des relations entre le maire et le curé.

      Dans son journal, Rocal fait état de sa difficulté  durant la Drôle de guerre. C’est surtout pour se plaindre de ses paroissiens : peu soucieux de l’avenir du pays[19]-, ceux-ci profitent sans la moindre vergogne de la hausse des prix. Prompts à lui demander du secours pour certaines maladies, il n’en gardent pas la moindre reconnaissance, à l’image de ce responsable du PC dont il avait soigné la femme et qui s’installe pourtant à la tête des mutins. Signe encore de leur peu  de valeur humaine : lorsque 57  réfugiés de Strasbourg s’installent à Saint-Saud, ils y ont un sort dont leurs compatriotes des autres villages les plaignent[20]. A deux reprises les gendarmes doivent intervenir sur dénonciation, les Alsaciens ayant été traités de « Boches ». Seul rayon de soleil pour l’abbé :  il  se vit confier la paroisse  de Saint Pardoux, dont le curé-doyen,  l’abbé Galinaud, avait été mobilisé : l’abbé Julien écrit au long de son journal son bonheur de se voir  confier une paroisse  dont il ne cesse de montrer le réconfort qu’elle lui apporte. .

     A Saint-Saud, en revanche, le malaise est si fort pour le curé qu’il tourne à l’angoisse  qui va jusqu’ à développer un « syndrome Moneys » : à l’instar de ce qui se passa à Hautefaye en 1870, ne risque-t-il pas, en cas défaite d’être le victime de ses paroissiens ? Inquiétudes pourtant limité tant l’abbé ne doute pas  de l’issue de la guerre : l’issue en paraît si certaine que sa seule vraie question est celle du prix de la victoire en termes de victimes dans une paroisse où la Grande guerre a aligné 72 noms sur le monument aux morts. .

 

De l’Exode à l’armistice

     C’est dire le choc quand vint en mai l’exode ! De longues pages  de son journal  décrivent la situation au cours de ceux deux mois. Document passionnant dans la mesure où il montre comment un village, en apparence si éloigné de tout,  peut devenir le lieu d’un défilé civil et militaire incessant. Rocal finit même par reconnaître parmi les réfugiés Pierre Brossolette, présence que confirme d’ailleurs Guillaume Piketty[21] Il  note certes  les périples extraordinaires de ces Saint Saudais devenus parisiens et  les conditions dans lesquelles ils regagnent leur village. On pourrait ici multiplier les faits spectaculaires .. ¨Pour Rocal  c’est certes  le moment de la terrible prise de conscience de l’infériorité de la France mais aussi  le refus d’admettre la défaite [22] . Il faudrait un miracle pour  sauver la patrie , venu des cieux et du sursaut des armées. Mais  ce miracle, il a jusqu’au bout la conviction qu’il doit se produire[23]. . D’ailleurs qui accepterait la défaite ? Le 17 juin, bien loin de la « divine surprise »que l’événement cause à d’autres,  il ignore dans ses  notes le nom même de Pétain  et se contente de souligner  combien tout le monde  serait scandalisés si  des généraux arrivaient au gouvernement pour y conduire une politique d’abandon[24]. Quand les premiers soldats, autour du 20 juin, rentrent  au foyer dans la débandade, il crie à la  désertion et pourchassent ceux qui passent à sa portée   pour les pousser à trouver une nouvelle affectation. IL n’a pas de mots assez durs pour les autres. L’annonce de l’armistice n’y fait rien : quand l’accord a été obtenu avec l’Allemagne, il espère encore qu’un désaccord avec les Italiens compromettra tout[25]. Il n’a pas encore  écrit le nom de Pétain lorsque le 24 juin, il dit son espoir en de Gaulle [26] quitte à le faire entrer par Nostradamus ! Quand tout est consommé, il a encore l’espèce de joie de voir s’installer à Saint-Saud un régiment pyrénéens qui a à son actif plusieurs actes de bravoure. C’est pourtant dans le plus total déchirement qu’il accueille la défaite.

 

C-le temps de la Révolution Nationale

    1° Les lettres à Vichy

  La fin de l’année 1940 et l’année 1941 offrent dans le journal un double registre. IL y a celui de la guerre et du choix entre l’Angleterre qu’il n’aime pas et l’Allemagne, le pays des Boches pour lequel il entretient une haine que le moindre filet de charité chrétienne n’adoucit jamais.

      Mais dans ce cahier l’élément le plus frappant ce sont ces documents dactylographiés,  lettres à l’administration surtout où  se dessine ce qui paraît être le grand espoir de la rénovation que doit  entraîner la terrible prise de conscience de la défaite.

      Un premier sermon qui suit la défaite est dans la veine de la droite nationaiste. L’abbé Julien développe autour de la tragédie sur la thématique peu originale des désordres préparateurs à la défaite et sur la responsabilité des politiciens. Le salut ,la,  rénovation de la patrie dans ce choc salvateur, ne peut-être que le fait d’un retour de ce qu’il appelle « la civilisation chrétienne »  et sur l’institution ecclésiale . Lui  que l’on placerait facilement du fait de certains éléments déjà cité comme un marginal dans l’église est au contraire tout à la hiérarchie catholique et à ses institutions. Il faudrait ici analyser une position qui rappelle celle de Bernanos à ceci près que  ce curé de campagne est trop enraciné dans sa terre nontronaise pour pratiquer la rupture de l’auteur des Grands cimetières [27]. Cette situation explique le fait de voir  dans  la Révolution nationale  l’instrument de ce salt. Le choc est tel le voici   vitupérant contre l’autre Révolution  et attend de celle de Vichy la   restauration  de la situation de l’Eglise que l’autre a mis à mal[28]il Homme du Sillon et probablement donc du Ralliement , il surprend de ce point de vue.  Le même sermon inquiète a un moment lorsqu’il s’agit de comparer les Français (et surtout les Saint Saudais) aux Juifs de Jérusalem  qui ont payé leur infidélité au Christ !Mais le désarroi de 1940 explique bien des choses !

     Quels étaient ses sentiments réels vis-à-vis de Pétain . il prononce le 27 juillet un sermon qui contient à la fois condamnation des combines politiques d’avant guerre et un éloge du Maréchal. Une  lettre  début 1940  rappelant combien il parle de lui au catéchisme semble témoigner, par ses propos  laudatifs sans nuances au point d’en paraître courtisans d’une totale allégeance . Propos sincères ? Rien ne permet de les suspecter même si les formules sont bien ampoulées et bourrées de clichés chez un homme qui sait écrire ! Il est vrai que, bien mal loti en termes de revenus du fait des aléas du denier du culte, il en appelle à la signature d’un nouveau concordat qui restaurerait la situation des prêtres.

    Autre lettre tout à fait passionnante : celle écrite a propos des curés de campagnes. Pardon pour l’analogie !Mais qui s’est intéressé au du  clergé du XVIII° siècle  ne peut pas ne pas faire le rapprochement avec ces curés richéristes qui firent tourner l’assemblée du clergé périgourdin en 1789 du manière que l’évêque ne put supporter ![29]  

2° Une situation beaucoup plus facile

    C’est dans cette lettre au Maréchal, que Rocal évoquait les progrès faits en matière de fréquentation du catéchisme par les enfants et le respect nouveau dont semblait jouir l’église[30][31]. Il soulignait aussi l’évolution de la fréquentation : le bulletin de victoire est à la mesure d’un homme qui sait en la matière n’être pas excessivement exigeant :   il précisait gagner désormais autant de nouveaux assistants à la messe… qu’il en perdait ! On ne pourra considérer cela comme un maigre bilan qu’au regard de l’assistance habituelle. Mieux encore : voici que les chantiers de jeunesse transforment les chenapans d’hier en jeunes chrétiens et l’un des organisateurs des charivari du 24 décembre retout de Pongibault venir recevoir les sacrement et préparer  chrétiennement son mariage ![32]

     Pour ce qui est de la commune et de l’administration,  voici le curé dans une toute nouvelle position. Salué ostensiblement par le sous-préfet, il entretient avec lui une correspondance très cordiale[33]. On consulte l’abbé au moment de la formation du nouveau conseil municipal : l’heure des règlements de compte aurait-elle sonné ? Rocal se méfie et s’il entretient des liens cordiaux avec le postier Faget, président local de la légion et autour duquel tourne désormais la vie politique,  c’est à la réconciliation avec le maire que l’on assiste grâce aux gestes de confiance du sous-préfet. Curé  et  maire  parlent tous deux de collaborer de nouveau…ensemble  le Maire donne des marques d’adhésion au nouvel ordre des choses qui le conduisent annoncer faire, à l’image Maréchal, don de sa personne à la France…avec quand même un accent de modestie : dans sa lettre du 18 mars qui semble accompagner des excuses orales à son curé pour l’affaire de 1939, le maire n’hésite pas à affimer[34] Sans vouloir égaler le Maréchal, chef de l’Etat français, je fais le don de ma personne à la France

.

   Dans ces conditions Rocal multiplie les initiatives pour aboutir à restaurer la situation de l’église : là où il se plaignait du délabrement et de l’édifice et du presbytère, il propose un plan de rénovation des deux. Il réclame par ailleurs du maire une pension au titre du gardiennage qu’il effectue et souligne d’ailleurs que depuis 30 ans qu’il est au service de la commune il toucherait, au titre d’employé municipal de celle-ci une retraite bien supérieure à ce qu’il reçoit de l’église

 

3°Les limites de ces propos apparaissent aussi

Sue conclure au total de cette adhésion apparente de l’abbé Julien à la Révolution nationale ? Il n’est pas inintéressant de la resituer dans le parcours d’historien de Georges Rocal : la préface de Brumaire à Waterloo déjà citée effectue un paralléle permanent entre XIX° et XX° le conduisant à évoquer dans le Front populazire les nouveaux Ledru-Rollin. La lettre sur le Concordat   conduit  à évoquer les pages de l’ouvrage montrant sous un jour positif le rétablissement de l’ordre après la tourmente révolutionnaire et l’accord avec Rome succédant aux persécutions. Homme de son temps, l’historien est-il à l’abri d’une vision répétitive de l’histoire ? : Il y a en outre un sérieux décalage dans le ton des écrits du journal et ceux des lettres où ses convictions sur les bienfaits religieux du nouveau régime sont singulièrement atténués[35]. Il  sait aussi souligner quelques ambiguïtés entre les propos et les actes :: lorsqu’il envoie une longue requête à propos de l’usage abusif du drapeau tricolore dans les enterrements civils et qu’il se voit adresser une réponse au moins assez dilatoire, il n’hésite pas à souligner les limites de la confiance en Vichy. « De l’art d’éluder les difficultés note-t-il. L’ordre nouveau n’a pas encore transformé les habitudes. Et avant que la religion ne retrouve sa place  dans les mœurs, il faudra du temps et de l’obstination »

 

     Au total et si l’on s’en tient aux questions intérieures, la position de Rocal est  d’abord dans la ligne du Sillon, celle du retour à une société plus fraternelle par le chemin des valeurs spirituelles. La  substitution à des conflits politiques vains  d’une  Révolution nationale  où Vichy s’inscrit   sur le chemin de la réhabilitation de la place de l’Eglise dans l’Etat est un progrès.

         Mais il y a bien deux limites : c’est bien du Vichy de Pétain qu’il s’agit et pour autant que l’objectif soit bien la victoire de la France incontournable base de sa restauration morale  qui passe par celle de son honneur.. Par ailleurs si Pétain dit son rejet du communisme ennemi,il retrouve les accents du Sillon à l’endroit de l’Action française  et sa haine des disciples de Maurras  «  Ici unanimement écrit il au printemps 1941, on souhaite la défaite de l’Allemagne. Mais là où l’Action française a ses fanatiques adhérents on mise sur la défaite de l’Angleterre…et souvent dans les familles la division s’installe. C’est le cas au collège Saint-Joseph à Périgueux où 2 camps antagonistes s’affrontent.

    Il y a enfin un point de bon sens : Rocal aurait-il jugé ses propos compromettants qu’il avait tout loisir de détruire ce livre journal. S’il ne le fit pas , c’est  ou bien par un oubli qui montre l’inquiétude limitée au   sujet de l’interprétation de ces papiers, ou bien parce qu’il souhaitait conserver le témoignage ou le souvenir d’un itinéraire finalement peu de nature à nuire à l’ authenticité de  son parcours résistant. IL est vrai que ce cahier contenait d’autres aspects qu’il faut relire à la lumière de ce parcours.

 

 

 

 

 

 

 

 

II- Un parcours de résistance.

        Fermons un instant ce livre journal clos à la date de l’entrée en guerre des Etats Unis, pour nous tourner vers l’autre grand dossier dont nous disposons : celui de l’O.N.A.C[36].  . A la fin de la guerre, le curé de Saint Saud se vit en effet attribuer les trois distinctions essentielles  pour la reconnaissance d’une action résistante : croix de guerre avec palme, rosette de légion d’honneur  et médaille de la Résistance. Et ce sont les dossiers constitués à l’occasion de l’attribution de ces distinctions qui nous permettent de trouver les traces ou les preuves, comme on voudra, de son action résistante. Le plus difficile, pourtant, pour lui, fut pourtant l’obtention des pensions d’invalidité et de la carte de combattant. Nous devons à cette longue quête de près de dix ans, disposer de dossiers qui éclairent des aspects supplémentaires et finissent par faire remonter à l’été 1942 le début de son engagement combattant, les attestations se multipliant par ailleurs de son rôle de « propagandiste acharné& de la Résistance »  et ceci cette fois …dès 1940.  D’où la double réflexion à mener :

-sur l’effet de symétrie qui allonge de part et d’autre du 8 mai 1945  dossiers d’attestation d’une part et ancienneté de la participation a la résistance de l’autre ;

- sur la question que nous pose la contradiction apparente des sources entre un livre- journal hanté par la révolution nationale et ces faits de résistance attestée.

    Nous devons donc entreprendre à travers  deux voies  sources l’exploration du passé résistant de l’abbé Julien, dossiers de l’ONAC d’une part,  papiers personnels et  correspondance, déposés aux archives départementales d’autre part.

   Nous prendrons le parti d’une analyse par effet de régression, partant de la période proprement militaire du capitaine aumônier, du mois de juin 1944 a sa démobilisation à l’été 1945, pour explorer ensuite les actions que révèlent les différentes attestations, la correspondance et les documents officiels pour tenter de comprendre à quand remonte un engagement qui illumina la fin de vie de ce prêtre.

 

A-Le capitaine –aumônier  de RAC et du 50°RI

 

La première série de documents, issue des papiers personnels nous montre le capitaine aumônier Georges Rocal .

    Pour le situer dans ce rôle,  il convient de revenir très vite sur le contexte dans lequel elle s’exerce

1°la brigade RAC est  l’élément le plus voyant de l’AS secteur Dordogne-Nord tel qu’elle a été constituée sous l’autorité de Charles Serre, ce notaire de Champagnac de Bélair qui fut aussi, pour cette partie de la Dordogne, le responsable de Combat.

     Personnage d’envergure et membre du CNR, Charles Serre avait assez tôt eu conscience de la fragilité de sa situation pour confier la direction militaire, lors de la grande réunion  du 15 juillet 1943, de son secteur à un officier lorrain arrivé à Thiviers, en janvier 1943, Rodolphe Cézard[37]. Celui-ci oeuvra d’abord à Thiviers  avant de venir s’installer dans un hameau de la commune de Saint-Saud, le village des Farges, dont il fit, sinon son PC, du moins, ce sont ses propres termes, son refuge[38]. Comme dans beaucoup de cas, l’ organisation, la brigade RAC, prit véritablement forme au 6 juin 1944. Elle fut alors organisée en trois bataillons .

La 6° compagnie, dans le cadre du 2°Bataillon, regroupa venant surtout de Saint-Saud et Mialet, quelque 170 maquisards ou volontaires qui, après les piètres prestations de l’adjudant, fut placée sous le commandement d’un officier, instituteur à Mialet, le lieutenant Jean, dont la valeur militaire et le courage (c’était « l’homme toujours debout ») furent souvent cités en exemple[39].

      C’est plus d’une centaine de saint-saudais qui furent ainsi sous les armes et devaient être associés à l’épopée de RAC jusqu’à la prise de Royan en avril 1945  à trois semaines de la fin du conflit.

 

2°En même temps que fut organisée la brigade, elle se dota d’une aumônerie calquée sur les structures ainsi définies et dont un document du 6 septembre décrit les grandes lignes de cette organisation.  Rocal est ainsi désigné comme « l’aumônier chef du secteur Nord » avec le titre de capitaine, chacun des 3 bataillons étant doté de son propre aumônier auquel s’ajoutent deux autres prêtres attachés à des fonctions ou lieux plus spécifiques. L’organisation de l’aumônerie reposait sur le principe qui faisait que chacun des aumôniers gardait  sa paroisse en charge et y résidait autant que possible, le service téléphonique  permettant de rester en liaison avec leur bataillon. L’abbé Julien est, en outre, chargé d’entrer en rapport avec un rabbin et un pasteur qui «  le cas échéant,  accepteraient de donner le secours de leur religion à ceux de nos soldats qui le désireraient ».

 

B-De Saint-Saud à Royan

 

1° A partir de juin 1944, la vie de l’abbé Julien est tout entière dominée par la vie militaire. Il semble d’évidence y avoir pris goût et saura rappeler de retour dans sa paroisse. Il est ainsi à la libération de Périgueux(19 août)  puis à celle d’Angoulême,(1°septembre) de Saintes avant de gagner Saujon et les marais de la Seudre.

2°C’est dans les premiers mois de 1945 que son activité est la plus remarquée. L’ex brigade RAC est devenue le 50° RI en janvier : il est donc aumônier divisionnaire. Mais il est bientôt atteint, au plus fort des combat, d’une congestion pulmonaire, en mars, et doit bientôt être hospitalisé à Saintes. Le 13 juin, le RP Amable lui envoie un courrier indiquant qu’il a reçu la nouvelle qu’il quittait « la 23° DI ». le 7 août, à Périgueux un certificat de visite établit un état de santé nécessitant une  prolongation de convalescence « 

 

3° C’est finalement en septembre 1945 qu’il est démobilisé .IL passe le 27 devant une commission de réforme lui accordant une invalidité au taux de 80%. C’est alors non pas le retour mais la re sédentarisation dans sa paroisse :  il atteste avoir continué pendant toute la période précédente à venir à Saint-Saud assrer les besoins de son ministère.

« Vous savez rappelle-t-il dans une lettre au capitaine aumônier général en juin 1946, c’est à contre cœur que j’ai repris le ministère paroissial et c’est avec  tristesse que je me suis éloigné de l’armée où j’aurais voulu m’attarder au moins pour les premiers mois de l’occupation en Allemagne »

Ce qu’on a déjà entendu prouve assez quelle joie il aurait éprouvé à inverser la situation de l’été 1940 en prenant pied Outre-Rhin

 

4° On peut toujours se demander de quoi fut faite la vie militaire chez cet homme de 63 ans déjà fatigué et bientôt malade. Les témoignages sont ici à peu près unanimes pour le montrer beaucoup plus entreprenant que ne le suppose la fonction d’aumônier : a Angoulême il est assez aux avant-postes pour voir sa voiture mitraillée et être lui-même blessé ;  au cours de l’attaque de Royan il «  exige des médecins de l’hôpital Saint Louis « qu’on lui laisse préparer le dispositif de l’aumônerie en vue de l’attaque imminente » »l circula dans les lignes pendant l’attaque ». En juillet 1945 dans une lettre très chaleureuse, le général Adeline se souvient de « l’admirable activité que  vous avez déployée sur le front de Royan ». Et qu’on me permette ici le témoignage de l’évocation par les résistants de Saint Saud de leur curé parti en zone minée créant une angoisse générale  et revenant  comme si rien ne s’était passé.

    Au fond Rocal rejoint bien ici ce que disait Jean Sigala dans ses carnets de 1914-18[40]

   On ajoutera qu’au passage les témoignage multiple de son zèle pastoral dont font état, notamment le responsable d’un orphelinat et les infirmières de Saintes[41].

      Pour ce qui s’est passé au front donc les choses sont claires. Et avant ?

 

B-Un parcours en résistance

 

1° L’engagement dans le maquis

a)Les témoignages de la brigade RAC sont à peu près clairs sur l’année qui précéda son engagement militaire.

   Une chose est d’abord sûre : c’est en avril 1944 qu’il gagna le maquis . » Recherché par les milices de la Gestapo, fut prévenu à temps de son imminente arrestation par les troupes allemandes  opérant aux environs de Thiviers et dut se réfugier au maquis de Charente le 5 avril 1944.[42]

Cet épisode est d’ailleurs celui qui fut le plus douloureux pour lui. Ecarté de sa paroisse, il restait en contact avec elle grâce à Paulette Brouillet, fille de Félicie, qui faisait office d’agent de liaison. Au cours d’une de ses missions, la jeune fille fut gravement blessée : totalement défigurée, elle dut ensuite subir de multiples interventions »afin de lui rendre une figure humaine » précise Rocal avant de décéder à l’hôpital en région parisienne.

b)Les choses sont établies par une série de témoignages pour le second semestre de 1943 : le témoignage de Rac est ici clair qui précise l’année suivante « A notamment, dès l’automne 1943 favorisé activement le recrutement du maquis en Dordogne ». Le 27 août, 1946, Rac va un peu plus loin pour  attester que l’abbé faisait partie du mouvement Combat et qu’il était en contact étroit avec l’organisation du AS (secteur Nord Dordogne) depuis 1943.  Il ajoute d’ailleurs « Il a eu une influence  considérable dans la région de Saint-Saud, Saint Pardoux, Mialet et a réussi à grouper de nombreux jeunes qu’il a dirigé vers le maquis Dordogne Nord ».

c) on pourrait alors après le capitaine aumônier retenir la figure du prêtre ayant activement contribué, à partir de la mise en place du STO, à l’organisation du refus chez les jeunes saint-saudais. C’est en effet plus de 100 d’entre eux qui sont dans la 6° compagnie et il est clair que ce sont bien davantage des réfractaires au STO que des combattants volontaires. Faut-il ajouter qu’à côté des membres de l’AS figurent aussi les FTP dont nous avons rencontré plusieurs figures intéressantes.

 

2° Avant le maquis : le membre de Combat

   Les témoignages de Cézard lient donc fortement l’appartenance au maquis, à l’AS Dordogne Nord et au mouvement Combat. On voit mal d’ailleurs comment Rocal aurait pu échapper à ce mouvement : en Dordogne c’est son très proche confrère et ami, le professeur de philosophie de St Jo, l’abbé Jean Sigala qui a reçu Edmond Michelet « au début de l’automne 1942[43] » et qu’il accueille par cette phrase « Il y a dix huit mois que je vous attendais[44] » L’abbé Sigala témoigne d’ailleurs lui-même en faveur de son ami dans l’attestation du 21 octobre 1945[45] qu’il est entré en résistance en 1943. Il indique entre parenthèse le semestre. Mais le chiffre peut prêter à confusion entre 1° ou 2°. De son côté dans son histoire de la Brigade RAC[46], le capitaine Fred  après avoir souligné le rôle du capitaine Claude, jeune lorraine responsable régionale des MUR et proche de Charles Serre « se sert comme principal agent de liaison dans le nontronnais de l’abbé Rocal, Curé de Saint Saud » A ce propos, Rocal précise dans sa biographie pour la légion d’honneur Il prit en main l’organisation de l’AS en nontronnais en collaborant avec Mademoiselle Giraud (alias capitaine Claude) son préposé à l’embrigadement que nous nommions le cousin »[47]

Dernière étape enfin, mais elle est beaucoup plus tardive : en 1948 apparaît dans les documents une attestation qui en fait, depuis juillet 1942, un membre du réseau Buckmaster au titre d’agent P1.  Document qui, bien qu’établi en toute légalité, attira à l’abbé une série de questions complémentaires.

    Troisième étape donc : après le capitaine aumônier d’active sur lequel tout est clair a partir d’avril 1944, après le membre du mouvement Combat sur lequel on ne peut guère émettre de vrais doute à partir de la mi -1943, reste une année plus obscure qui ferait selon les hypothèses partir de la mi 1942 ou de la mi 1943 l’adhésion officielle à la résistance.

 

C-Portrait de Résistant.

    Reste tout de même encore une zone à explorer : celle qui nous amène, cette fois à 1940. Il ne s’agit plus d’affiliation officielle mais d’une attitude. C’est ce que font apparaître plusieurs documents

1-La citation du 31 août1945 émane de l’armée de l’Atlantique[48] Le Gl Anselme commandant de la division Gironde pour lezs opérations ayant abouti à la prise de la position fortifiée de Royan cite à l’ordre de la brigade, Georges Julien , capitaine aumônier : » dès 1940 a participé à la création de la Résistance en Dordogne, l’a cristallisée en Nontronnais, notamment le maquis de Saint-Saud »

Citation qui a l’inconvénient d’associer dans la même phrase des faits distants de 4 ans.

2- La légion d’honneur

     Le 7 mai 1946, G Rocal est promu au grade d’officier de la LH . Pour la constitution de son dossier il a établi lui-même les faits. On lit alors qu’il  « est entré dans la Résistance dès 1940 en soutenant par ses discours et ses actes les patriotes qui voulaient poursuivre la lutte contre l’Allemand. A Adhéré au groupe Combat en 1943, dès lors en plus de son action au grand jour a travaillé dans la clandestinité ». Remarque ici : on rejoint la probabilité de la date de 1943 : en toute liberté d’établir sa biographie, Rocal ne fait mention du réseau Buckmaster. On peut d’ailleurs se demander pourquoi cette assertion ultérieure. Il s’agit alors d’un combat d’une autre nature, celui de l’obtention de la pension via la carte d’Engagé Volontaire et la nécessité de produire des états de service plus anciens. Nous savons les raisons de cet acharnement qui conduit au bord du mensonge : il s’agit bien alors d’obtenir le plus de moyens possibles pour la famille Brouillet très en difficulté pour le règlement des frais d’hospitalisation de Paulette. Pieux mensonge ? En tout cas de l’entrée dans la résistance officielle, contentons nous de dire qu’elle est  sûre au milieu de 1943, possible dans les mois qui précèdent !

    Reste la suite de la citation pour ce qui est de la première période en 1940 « Où qu’il se trouvât, en chaire à Saint-Saud ou à Saint Pardoux notamment, dans les trains, dans les groupes, il tint des propos qui eurent un rententissement, surtout en Nontronnais ». Nous notons que la citation pour la légion d’homnneur  retient « Résistant dès juin 1940,il sut prendre position dès cette époque sans peur, son point de vue en chaire à toute occasion. Entré en contact avec le groupe Combat dès 1943, il hébergea  chez lui des Israëlites, dirigea des réfractaires sur le maquis fournissant aux autres de fausses cartes d’identité »

 

3°Enfin, la citation pour l’obtention de la médaille de la Résistance, le 15 nov 1945 fait de lui un propagandiste acharné de la Résistance depuis 1942. On y précise « Belle figure française qui a accompli avec modestie des tâches immenses » et on le situe entré dans la résistance fin 1942, affilié au mouvement Combat avec des activités de liaison, renseignements, réfractaires »

    On voit donc que  Rocal est présent selon ces témoignages aux trois types d’actions de la Résistance : la propagande puis les réseaux et enfin la lutte armée. Reste maintenant à comprendre…au vu de l’attitude du curé de Saint-Saud

 

III- UN DETOURNEMENT de VICHY ?

     Un prête qui a fait les déclarations que nous avons pu voir à  propos de Vichy «  propagandiste acharné de la résistance «  voilà de quoi  construire une belle contradiction ? Disons que pour l’histoire de la résistance, il y a surtout  un beau problème d’interprétation d’un parcours sur lequel nous tenons des traces sûres. Nous nous trouvons donc  face à une belle complexité au milieu de laquelle nous permettent d’avancer les annotations du livre journal et les textes des sermons de 1940-41 dont nous devons nous demander ce qu’ils disent de la période où le cahier est tenu et comment ils préparent la suivante

     Curieux document d’ailleurs qui pose, en lui-même, deux questions : pourquoi l’interruption en décembre 1941 ? Pourquoi ce cahier jamais détruit s’il était comme  nous pourrions l’estimer, compromettant. Il l’était d’autant plus qu’une étrange contradiction le frappe : l’essentiel de l’adhésion à Vichy apparaît a travers des lettres dactylographiées parfaitement lisibles, pendant que les notes, d’une écriture très cursives promettent à leur lecteur de beaux exercices de déchiffrage, nous pouvons en témoigner ! De la même facture sont d’autres papiers dont la lecture est essentielle car ils soutiennent la prise de paroles et  dont ouvertement expriment des opinions : les sermons.

     Du même coup, nous voudrions montrer comment coexistent  ces attitudes . Car l’adhésion aux réformes de Vichy coïncide avec un farouche refus de la collaboration.

 

 

A-Les hésitations et le choix résolu de l’Angleterre.

Les notes de G Rocal correspondent à une période dominée par l’affrontement anglo-allemand.

1° En juin 1940, opter contre l’Allemagne c’est choisir les Anglais.  Or , classiquement, ce choix d’abord clair devient insupportable avec Mers El Kébir qui  provoque  un rejet absolu de l’Angleterre et de De Gaulle qui s’en fait le complice..

2°Et pourtant, degré après degré, vient avec la perfide Albion une sorte d’acceptation : les Anglais sont bien notre seule chance. Qu’ils souffrent un peu ne leur fera pas de mal. Mais surtout qu’ils gagnent ! C’est le vœu que l’on sent prendre très largement le dessus dans son entourage et on sent de même quels sont les choix qu’il a lui même formulés. Ainsi la mention de septembre :17/9 Peu de personnes (à vrai dire je n’en connais pas ici) ne seraient en faveur d’un succès complet des Anglais. Malgré leur sauvage agression de Mers El Kébir, leur carte est la notre. Ah les coups terribles qu’ils reçoivent sont mérités mais qu’au moins ils puissent tenir plus longtemps et abattre l’Allemagne.

 Du coup nous serions libérés de notre esclavage et de nos dettes. Un zeste quand même de machiavélisme plane sur cette anglophilie » Et comme nous aurons le moins pâti dans nos vies et nos biens, ns serons prêts pour un départ économique. Nous reprendrons la tête des nations. «

Les mentions sur la situation internationale se multiplient  alors avec  toujours le vieux fond d’anglophobie mais un choix sans réticence[49]   d’autant que le  caractère pressant  de l‘appel  l’Angleterre redonne sa dignité à la France et fait de l’alliance une simple question de type d’approche politique ou diplomatique[50], même si la foi dans leur capacité de vaincre est mise à rude épreuve[51]

 

3°La vision géopolitique finale.

La dernière mention du dossier Rocal montre où il en est début 1942, dans sa vision du monde. On notera, au passage, qu’aucune mention à une époque où, c’est vrai, les annotations de font beaucoup plus rares, de l’intervention de l’URSS. Elle mêle la foi dans la victoire contre l’Allemagne à un ensemble de considérations au moins originales sur l’intérêt bien compris de la France

Ouf,enfin le conflit est étendu au monde entier. La dernière phase de la guerre commence. Les peuples s’épuisant, Angleterre, Allemagne, Italie, Russie  sortiront du conflit exsangues. Tous seront punis. Nous sommes tous d’accord pour souhaiter la défaite totale de l’Allemagne d’abord qui est notre ennemi n°1.La Russie ne pourra plus instaurer son hégémonie bolchéviste comme elle en avait la volonté. L’Angleterre saura ce qu’est la guerre  que les autres jusqu’alors engageaient en son lieu et place, sur son ordre.

 

 

B-° Le rejet de l’Allemagne est total dès le début même s’il entre en contradiction avec le choix de Vichy

1° De ce fait, le  refus de l’Allemagne est celui des « Boches » et, à travers eux, du militarisme allemand ou prussien. Pour lui, il se situe dans une perspective historique qui est celle de la civilisation contre la barbarie. Ainsi le 22 juin  proclame-t-il dans un sermo Hiler A organisé son peuple en une gigantesque usine aux travaux forcés , fait de la trahison une arme rationnelle…la 5°colonne. A martyrisé des millions de nos combattants mitraillés sur les routes. Spectaculaire est le passage de son livre journal qui relate le  premier passage d’un véhicule allemand à Saint-Saud , le 11 octobre 1940 . Lundi dernier, 7 oct, vers 17h, précédés d’une moto militaire ou se trouvaient des officiers français , 4 boches ont passé dans une auto découverte. Raides, tt de neufs vêtus,, ces officiers nous ont donné par leur présence, aussi rapide qu’elle fût, un coup au cœur. S’ils ont croisé mon regard, ils ont pu lire mon indignation, mon mépris. Et dans leur sillage, j’ai lancé les éclats de mon indignation pour leur révoltante attitude de vainqueurs qui nous oppressent « Salauds Salauds, Salauds !.

 

En revanche, le terme de « nazisme «  n’apparaît jamais. En ce sens la position de Rocal est différente de Sigala et montre comment marqués par les mêmes conviction, le professeur de philosophie et le curé de campagne-historien réagissent différemment. Car, pour Sigala, l’hitlérisme  c’étaient d’abord des affirmations antichrétiennes » »mortelles pour les fidèles, pour notre foi, pour notre patrie »[52]

    Reste que ce refus de l’Allemagne constituait une ligne intangible : la fidélité au Maréchal s’arrête où commence tout rapprochement avec l’Allemagne.!D’où le scepticisme, aussi, lorsqu’il s’agit de Montoire et l’ironie à propos de la politique de collaboration telle qu’il la note dans son livre-journal, le 21 octobre 1940 A 21h50 la radio suisse nous annonce la rencontre aujourd’hui de Pétain et Hitler .La dépêche du DNB est laconique. Le speaker lui donne toute sa valeur sur un ton solennel. C’est un moment d’émotion intense pour moi.. Que retirera-t-il de cet entretien : notre libération physique hâtée et notre redressement moral facilité par le vainqueur ? Même si cela était vrai, il nous répugne de le devoir à un vainqueur qui nous a pillés, appauvris systématiquement par des charges colossales, qui nous a brimés par le partage en 2 zones  de la France sans communication de l’une avec l’autre

 

2° Par ailleurs l’ admiration pour Pétain  s’accompagne du rejet absolu de Laval. Le grand rêve de Rocal avant l’élimination de ce dernier, c’est celui du proninciamento qui verrait des généraux patriotes éliminer l’homme de la collaboration.

3°Le cas de Gaulle. Il y a eu chez Rocal un grand espoir concernant de Gaulle qu’il cite dès le 24 juin 1940 , à la romaine, « notre jeune dictateur ». C’est d’ailleurs au point que de nom de de Gaulle apparaisse dans ses mentions avant celui du Maréchal. Mais Mers-El-Kébir brise les espoirs et compromet fortement l’homme du 18 juin à ses yeux complice du coup bas perpétré par les Anglais

     Il est donc bien clair que les sentiments anti-allemands et la passion patriotique n’ont jamais connu la moindre parenthèse.  C’est évidemment là que se situe le terrain préparatoire. Reste à savoir comment être Vichyste et « propagandiste acharné de la Résistance « ?

 

C-De l’art de détourner Vichy.

    Au fond la coexistence du regard sur la révolution nationale et le refus total de l’Allemagne  apparaît dans ce que nous appellerons « le détournement de Vichy ». Celui-ci explique les qualificatifs dans les dossiers de Résistance : jusqu’en fin 1941, Rocal aura célébré le Maréchal en patriote et, du coup, donné aux cérémonies organisées en apparence sur le mode vichyssois  une drôle de tournure. D’abord puisqu’il s’agit de fêtes organisées par l’Etat français, les officiels sont bien obligés d’y participer et l’église est ainsi remplie (on aurait atteint jusqu’à 250 personnes) ce qui donne un écho nouveau aux propos de l’abbé. . L’occasion est trop belle : c’est au moins 1./2 heure voire ¾ d’heure que dure le sermon[53]. Quand on pense aux messes de l’après guerre ![54]

     Ces sermons mériteraient une étude globale pour définir une stratégie de mobilisation à double détente. Ils  s’ouvrent dans la plus pure orthodoxie pour appeler au retour aux valeurs traditionnelles. Mais le glissement est progressif et méthodique. Il faudrait de ce point de vue étudier dans le détail le canevas du sermon du 25 mai où passe toute la construction politique du curé de Saint Saud. Et l’exorde est inéluctable

 

2°Les chaudes heures du maréchalisme anti allemand a Saint-Saud

    On ne résistera donc guère à donner les échos de quelques sermons qu’il faudrait bien un jour penser à publier

    C’est d’abord en bon nationalisme bien compris la réintrodiuction dans la liturgie du salut au chef de l’Etat, même avant que l’on ne se soit préoccupé de l’imposer [55]

Maréchalisme de zèle ? Il est bien clair que agir ainsi c’est proclamer face à l’Occupant que la France existe et qu’elle a un chef de l’Etat. D’ailleurs suit immédiatement le chant du dernier couplet de la Marseillaise[56]

 

  Le 1° mai 1940, Saint Saud a célébré la Saint Philippe et la fête du travail. Hymne au maréchal certes. Hymne au travail aussi : les deux combinés donnent une église éclatante aux yeux de son curé[57]La construction est claire : si le Maréchal incarne le siursaut patriotique, on doit en le fêtant fêter aussi la France. Et le voici qui prépare avec désormais les coudées franches, le défilé et la cérémonie patriotique en bonne et due forme , drapeaux en tête et enfants chantant la Marseillaise. Cela s’appelle prendre Vichy au mot : l’avant  veille ordre avait été donné, souligne-t-il, d’organiser des cérémonies patriotiques. Mais voilà  l’interdiction est venue A cause d’un télégramme parvenu à la sous-préfecture, la veille le cortège prévu derrière le drapeau tricolore n’a pas eu lieu. Sans doute le Boche s’oppose à ces défilés

 

 

 

 

     Mais voici le moment le plus révélateur. Le 25 mai 1941, Saint Saud célèbre la fête des mères. En apparence et une nouvelle fois tout le décorum de la Révolution nationale : la copie dactylographiée des questions aux enfants et des réponses  ne fait guère de doute. Notons cependant dès l’entrée qu’a la question a propos du 11 mai, les enfants doivent répondre « Nous fêtions Jeanne d’Arc et le patriotisme » et aujourd’hui il s’agit de fêter « les vaillantes et héroïques mères » de répondre aussi  que « nos mères sont de parfaites françaises .Nous ferons notre devoir de Français » Il s’agit aussi d’affirmer sa croyance en la grandeur de la France, en »la France éternelle ».. Et puis ont poursuit sur leur rôle vis-à-vis des Français  qui ont la « responsabilité de réparer la plus atroce défaite de notre histoire ».Un passage évoque ensuite la responsabilité de nos chefs actuels dans la préparation de la victoire et le rôle donné aux mères. Allusion est faite a celles qui attendent le retour des prisonniers. Eloge de la femme chrétienne qui a mieux résisté que les hommes »pendant les décades où déferla l’irréligion. Peu à peu on égrène les responsabilités particulières de la mère[58] Et voici le cœur de l’affaire et la harangue anti allemande  suivie de la prophétie de la chute des occupants. Qu’on nous pardonne la longueur de la citation mais on commence à comprendre la mention d’un propagandiste acharné !

   :  La mère allemande a donné à sa patrie  des enfants façonnés  dans l’esprit d’orgueil et de conquête, dévoués à Hitler pour réaliser l’hégémonie souhaitée depuis des siècles par les Germains .Elles les lui a donné nombreux bien qu’elle comprisse que le dictateur les immolait au Moloch de la guerre et les transformerait en bouillie sanglante. Elle leur a  forgé une âme d’acier, leur faisant accepter d’enthousiasme les privations essentielles qui permettraient la fonte des canons et l’armure des chars qu’ils verraient et réaliseraient eux-mêmes.Elle les a nanti d’une mystique…ils ont cru qu’ils étaient une race dont le destin était de régenter l’univers, qu’Hitler, leur maître était un monstre, dieu qu’ils adoreraient et serviraient de façon aveugle. Ainsi les jeunes Allemands puissants agressifs fanatiques et envahisseurs ont jusqu’ici brisé tous les obstacles. Ils ne s’arrêteront qu’a un point inconnu de nous mais que Dieu a décidé comme le lieu où se briserait une force satanique »

     Certes ce refus de l’Allemagne ce n’est pas encore l’appel aux armes. C’erst le constat d’une autre force plus morale. Volonté de tempérer le discours ? Cheminement encore incertain : c’est à des croisades pacifiques que sont appelés les Français par celui qui deux années plus tard devait entrer dans le feu de l’action[59]

On comprend évidemment que l’on ait pu parler de propagande. Certains qui n’aimaient pas le personnage et notamment parmi ses confrères disaient encore dans les années soixante  que « pendant la guerre  ils ne parlait que des Boches et jamais du Bon Dieu ».  Au moins le discours de la fête des mères montre qu’il savait montrer le diable et du même coup la manière du vade retro. Plus sérieusement, ses bons confrères plus paisibles  avaient oublié que pour l’abbé Julien la foi était pour lui le chemin du redressement qui vaudrait à la France abattue et sans moyen militaire de redevenir la grande référence de civilisation

 

 

CONCLUSION :

-   Les  regards contradictoires sur l ’homme que fut Georges Julien n’ont pas cessé avec la guerre : fêté par les Résistants, décoré  pour ses hauts faits et une œuvre littéraire qu’il poursuivit jusqu’au milieu des années 150 où, avec la Seconde Restauration,  il comblait la dernière lacune de son oeuvre sur le Périgord de la première moitié du XIX° siècle, G Julien est resté jusqu’au bout ce prêtre isolé dans une paroisse où la courte messe du dimanche  ne  rassemblait plus  que quelques paroissiens. Il jeta ses dernières forces pour leur donner une église restaurée de façon originale et selon un plan d’une grande cohérence pastorale.

     Parenthèse heureuse de sa vie, la Résistance et la vie au front ont éclairé la vieillesse de Georges Rocal a qui l’amitié des résistants n’a jamais fait défaut comme l’a montré la célébration du centenaire de sa naissance à commencer par le tonitruant  témoignage de Raymond Boucharel[60]. Résistant de la première heure[61] qui n’a jamais contesté son rôle.

     L’histoire de Rocal est un cas d’engagement qui montre le courage d’un homme mais aussi l’immense ambiguité de Vichy et du maréchal Pétain : prendre au mot sa démarche patriotique conduisait finalement à le rejeter. C’est là le sens de l’itinéraire de Georges Rocal .



[1] A D Dordogne  J 142

[2] ADD, J

[3] Georges Rocal, De Brumaire à Waterloo en Périgord, Paris, Floury, 1941

 

[4] Idem, avant propos p XV

[5] R Boué,dsEcrivains et terre natale

[6] G .Mandon,Georges Rocal, un sillon pour l’histoire du Périgord   Conférence donnée à Saint-Saud le  7 août 2009.

[7]  Pierre Pomarède,

[1] Le canton de Saint Pardoux figure en avant dernière position sur les listes avec  plus de 80% de ne sachant signer leur nom

[1]  Collection imprimée des bulletins paroissiaux janvier 1912-juin 1914, Association G Rocal, Saint-Saud

[1] Lettre au sous-préfet de Nontron, 1941

[1] Archives diocèsaines

[1] BSHAP 1981

[1] «G Rocal, Les fils émancipés de Jacquou le Croquant, Editions du Folklore, Saint-Saud, 1939

[1] Il devait rappeler dans une de ses lettres au Maréchal que Saint-Saud était une des communes où la majorité communiste avait été la plus forte

[1] lLivre journal :lettre au Maréchal, janvier 1941



28/02/2011

Inscrivez-vous au blog

Soyez prévenu par email des prochaines mises à jour

Rejoignez les 2 autres membres